22/11/2013
Retour sur l’expédition d’Alexandra Cousteau
C’est un après-midi de septembre ensoleillé. Pour le simple observateur, la rivière Pe-tawawa, un affluent de la rivière des Outaouais, est magnifique et sereine. Alexandra Cousteau, exploratrice, défenseure de l’eau et petite-fille de Jacques Cousteau, par-court la rivière en canot avec Skip Ross, un vieil algonquin âgé de 82 ans. Alors qu’ils pagaient, la lumière du soleil d’après-midi scintille sur l’eau. Elle lui parle de la rivière Petawawa du temps de sa jeunesse et lui pose une question qui ne se pose plus au-jourd’hui : « Pouviez-vous boire l’eau? » « Nous buvions à même la rivière Petawawa. En fait, quand nous étions petits, c’était ma tâche de rapporter de l’eau, explique-t-il. Mais aujourd’hui, je ne boirais jamais l’eau qui coule ici. C’est dangereux. »
Aujourd’hui, 1,5 million de personnes vivent sur les rives de la rivière des Outaouais et plus de 50 importants barrages ont été dressés le long du cours principal et de ses affluents. La rivière est également la source d’eau de plusieurs municipalités et elle permet d’évacuer les eaux usées traitées provenant des 115 usines de traitement des eaux sur toute sa longueur. Il est monnaie courante que les plages qui la bordent soient fermées pour cause de présence élevée de bactérie E. Coli et les populations d’espèces clés, telles que l’anguille d’Amérique, ont connu un important déclin en trois générations seulement puisque les barrages empêchent leur migration et entravent les cycles de reproduction.
En bref, la rivière est surexploitée. C’est ce qu’Alexandra Cousteau et l’équipe de Blue Legacy ont découvert en explorant les 2400 km du bassin de la rivière des Outaouais. C’est la conséquence de manques significatifs et nuisibles au niveau de sa gouvernance, lesquels sont principalement dus au fait qu’une partie de la rivière se trouve en Ontario et l’autre, au Québec, et qu’il n’existe aucune entité de gestion ou plan de consultation s’appliquant à l’ensemble du bassin. En l’absence d’un véritable responsable, ceux qui se trouvent sur le terrain – les résidents qui sont témoins d’injustices environnementales commises en toute impunité ou des parents attristés parce que leurs enfants ne peuvent s’amuser dans l’eau à cause de la fermeture d’une autre plage – doivent combler le vide et se battre pour protéger la rivière.
Une intendance aux multiples visages
Au cours des prochains mois, trois courts documentaires, réalisés par Alexandra Cous-teau pour Mission Rivière, une initiative conjointe de Blue Legacy International, l’organisme sans but lucratif à la défense de l’eau d’Alexandra Cousteau, la Fondation de Gaspé Beaubien et Sentinelle Outaouais, seront diffusés.
- Le premier film parle des problèmes de qualité de l’eau de la rivière;
- Le deuxième explore les conséquences qu’ont eues les barrages sur la biodiversité;
- Le troisième aborde les problèmes de gouvernance du bassin auquel s’applique 200 juridictions.
Bien que différents, les trois films traduisent une seule et même passion qui anime ceux qui cherchent à protéger la rivière.
Qu’il soit question de l’humble verve des Amis du Ruisseau de la Brasserie à Gatineau, qui se battent pour redonner à un ruisseau sa pleine place au sein de la communauté, ou l’engagement de Virginia MacLatchie, gardienne de la rivière, à l’égard de l’application des lois environnementales sur son propre terrain, plusieurs personnes se sont mises au service de la défense des eaux. Ce sont elles qu’Alexandra Cousteau a interviewées pendant son expédition de onze jours. « Je suis profondément et indéniablement attaché à la rivière, dit Marc Godin des Amis du Ruisseau de la Brasserie, à Alexandra Cousteau. La rivière, c’est le poumon, la source d’oxygène de la région. Sa présence est fondamentale pour moi. »
M. Godin ne fait pas figure d’exception. Par exemple, les habitants du village d’Almonte se battent pour sauver un milieu humide composé d’érables de bois mou situé sur la rivière Mississippi, un autre affluent de la rivière des Outaouais, de la noyade. « Nous devrions promouvoir et célébrer ces valeurs !, lance Mike O’Malley, sentinelle Ottawa de la rivière Mississippi, à l’équipe de Blue Legacy alors qu’il leur faisait visiter le milieu humide en danger. C’est une nature sauvage accessible et je crois que ça vaut la peine de se battre pour la conserver. »
« Je veux que l’eau soit vivante »
Alexandra et son équipe ont maintes et maintes fois parlé avec des gens ordinaires comme M. Godin et M. O’Malley qui ont vu un cours d’eau qui avait besoin d’être dé-fendu et qui se sont engagés dans une lutte inévitablement sans fin, bien que valori-sante. « La bonne intendance passe par un engagement actif à défendre la rivière, ex-plique Meredith Brown de Sentinelle Outaouais. C’est-à-dire qu’il faut poser des ques-tions quand on constate que quelque chose ne tourne pas rond. »
Aujourd’hui, Sentinelle Outaouais compte 57 gardiens de rivière d’un bout à l’autre du bassin, et d’innombrables autres intendants qui veillent à sa protection. « Je crois que c’est la rivière qui les motive, explique Mme Brown. Certains veulent que leurs petits-enfants puissent un jour y pêcher du poisson ou y nager en toute sécurité, mais au bout du compte, ils puisent à leur amour de la rivière. »
Sur la rivière Petawawa, Alexandra demande à Skip Ross comment il se sent quand il est sur la rivière. « Je suis heureux. C’est chez moi. C’est mon esprit qui le dit, répond-il. Je veux que l’eau soit en vie, qu’elle soit peuplée de poissons et d’une faune sauvage. »